03 octobre 2015

Un village bâti sur des os d'animaux disparus

Il y a des milliers d'années, des mammouths vinrent mourir ici : pourquoi ?

Galina Chuyko, la boulangère, raconte une histoire bien familière aux résidents de ce village de la région de Novosibirsk.

"En juillet, il a fallu installer de nouvelles conduites d'eau", dit-elle. Les ouvriers ont commencé à creuser, ils ont enlevé des pelletées de terre et ils étaient là. Les os.

"Sont apparus des dents, une mâchoire et des défenses. Il y avait une dent en très bon état. Bien sûr, tout a été emporté par les ouvriers. Il y avait un os vraiment gros, mais il a disparu immédiatement dans leur véhicule. Je me suis débrouillée pour en sauver quelques autres pour les donner à l'école."

Doutant qu'il ne pourrait y avoir aucune autre raison à la venue d'étrangers dans son village que la chasse aux souvenirs locaux, elle demanda : "Êtes-vous ici pour récupérer des os ?"

Ici, vous bêchez votre carré de pommes de terre et vous tombez sur des os. Vous labourez les champs, même chose. Vous creusez un sous-sol – et voilà de nouveaux vestiges de ces magnifiques créatures éteintes qui ont péri il y a des milliers d'années.

Mamontovoye, ou Mammouth-City, 318 habitants, comporte deux rues et trois ruelles. Le village se trouve à 250 km à l'ouest de la capitale régionale, Novosibirsk.


Peu de villages alentour peuvent se vanter d'avoir leurs armoiries personnelles, mais celui-ci en a. Y figurent un mammouth.



À bien des égards, c'est une scène rurale sibérienne typique. Des oies patrouillent dans la rue et une chèvre amicale s'affaire à brouter l'herbe. Elle s'arrête pour faire un bisou à notre photographe. La plupart des maisons sont proprettes et bien entretenues, malgré certaines à l'abandon au bout du village.


Une pièce de l'école est un musée de l'histoire locale du village, dédié aux… mammouths laineux sur lequel il est édifié. Vladimir Turkin, le professeur d'histoire, se souvient de l'intérêt apporté pour les os et les défenses par les universitaires à l'époque soviétique.

"Ils fouillaient le sol à la recherche de vestiges", dit-il, en parlant de l'expédition de recherche de 1968. "Ils avaient entreposé les os dans un hangar qui resta ensuite à l'abandon et tous les sacs avec les os furent volés", poursuit-il en soupirant. "Une partie des os se trouvait dans l'école, puis ils ont été égarés on ne sait où.


Ici les os de mammouth ne sont pas réputés comme ayant une grande valeur. Il y en a trop. Nous avons l'eau courante dans presque toutes les maisons, donc quand on installe des conduites d'eau, on déterre plein d'os. Nous voulions ouvrir notre propre musée et attirer des touristes."

Il existe d'autres endroits du nom de Mammouth, aux US en particulier, mais ce village sibérien a des inconditionnels dans le monde entier.

"Des gens nous appellent du monde entier", explique-t-il. "En gros, si vous faites un trou de 50 cm pour construire de nouvelles toilettes, une couche d'os apparaît". Ce filon s'étend sur deux mètres de profondeur. "Nous avons des maisons vides avec plein d'os de mammouth dessous. Il y a même des caves avec des défenses qui dépassent du mur."



Une quantité incalculable de défenses a été volée au cours des années dans ce village, pourtant – à la différence des restes de mammouths d'autres régions – les restes de cette ancienne nécropole ne conviennent pas vraiment pour l'industrie de l'ivoire. Les défenses appartenaient à des animaux très jeunes, dit M. Turkin, ce qui peut donner un indice sur ce qui s'est passé ici il y a des milliers d'années. "Cela dit, les mammouths enterrés plus profond étaient plus gros. Ils devinrent plus petits par la suite, je ne sais pas pourquoi..."

Nous avons trouvé un scientifique au travail près du village, examinant avec soin les ossements de ces bêtes du passé et il pense connaître la réponse au mystère de Mamontovoye. Mais, d'abord, écoutons les témoignages d'autres habitants sur la banalité de la présence des vestiges de mammouths dans ce coin de Sibérie.

Chacun a son histoire à ce sujet. Svetlana Weber, professeur de mathématiques à l'école du village raconte : "Nous étions en train de creuser un sous-sol. Je ne me souviens plus de la date exacte, c'était en 1998 environ. Il y avait tellement d'os que nous les rejetions avec la terre. Nous n'y accordions aucune valeur.

En faisant les murs de notre sous-sol, nous avons laissé les os dépasser. C'était comme un décor intégré dans les murs. Et quand nous avons eu l'occasion de construire une cave en briques, nous avons caché les os derrière les murs. C'était il y a cinq ans."

De nombreux adultes dans le village semblent être enseignants. Les autres sont agriculteurs.

Tatiana Neborak, professeur de géographie, a vécu une expérience similaire. "Quand nous avons creusé notre sous-sol, nous avons trouvé beaucoup d'ossements. Des articulations, des fragments de côtes et des omoplates. Puis des japonais sont venus et ils ont commencé à récupérer les os des murs". Ce qui a causé des problèmes. "Notre sous-sol s'est effondré – c'était il y a dix ans".

Malgré les apparences, il existe des lois pour lutter contre le chapardage des os et toute nouvelle découverte devrait subir aussitôt l'examen de scientifiques.

Alexandra Lashova, 76 ans, se souvient des débuts du village en 1953, l'année de la mort de Staline. Une ferme collective proche de Alabuga nécessitait une extension et cette zone fut choisie comme nouveau territoire.

"Ils ont construit le village en partant de zéro. Les maçons étaient de la région. On apporta de lourds engins et le travail commença, et dans le même temps les gens construisaient leurs propres maisons. Nous avons démarré la construction du principal bâtiment administratif et en faisant un trou pour les toilettes, nous avons trouvé un os énorme.

Personne ne savait à quelle créature il appartenait. Nous nous sommes tournés vers le vétérinaire, Alexander Semyonov. Il ne savait pas non plus. Il n'avait jamais vu ce genre d'os avant. Personne ne savait à l'époque que c'était ceux de mammouths laineux."


Les habitants perplexes se rendirent au Parti Communiste local, alors source de toute sagesse, pour avoir une explication.

"Le comité de district contacta l'Institut d'Archéologie et la première expédition débarqua", se souvient Alexandra. "Ils ont commencé les fouilles et ont trouvé beaucoup d'os. Je vivais dans le village voisin, nous venions donc ici régulièrement pour regarder… il s'est avéré que c'était une très importante découverte scientifique."


Le bouleversement de la chute de l'URSS en 1991 et les crises financières des années suivantes firent que d'autres sujets devinrent plus importants que les recherches d'os de mammouths. Mais aujourd'hui le paléontologue sibérien réputé, Sergey Leshchinsky, chef de laboratoire à l'université de Tomsk, est de retour au village, pressentant que ces squelettes détiennent la clé du grand mystère de l'extinction des mammouths.


Sergey Leshchinski

"Nous aurions dû faire des fouilles ici il y a longtemps, bien sûr" admet-il. "Mais imaginez, en 1991, quand les gens savaient déjà que c'était un endroit unique, il n'y avait pas d'argent pour financer une recherche. De plus, le village était très peuplé à ce moment-là, beaucoup de monde vivait ici et il était impossible de faire des fouilles".

Il montre les maisons aujourd'hui abandonnées, signe d'une migration de population vers les villes depuis la chute du soviétisme. "Elles étaient toutes habitées dans le passé" – ce qui aurait rendu les recherches plus difficiles.

Alors pourquoi tous ces os ici ? Sa théorie est intrigante, mais il passe d'abord en revue les avis précédents sur l'étrange phénomène de ce cimetière de mammouths laineux, qu'il estime âgé d'au moins 10.000 ans.

"Il y a quelques dizaines d'années, il y avait deux grandes théories sur la raison d'un tel amoncellement d'os ici. C'était une époque où la théorie de la chasse prévalait. Elle affirmait que les peuples du passé étaient de très bons chasseurs et qu'ils ont pu massacrer autant de mammouths. Le principal avantage de cette version était qu'il devenait difficile de trouver d'autres explications.

L'idée était que les mammouths mouraient de faim. L'endroit pouvait être une île à ce moment-là. Les mammouths sont venus ici par accident – et ils n'ont pas pu s'échapper." Ont-ils pu être exterminés par les peuples du passé ?

Mais cela ne semble pas assez tenir la route, parce que certainement les mammouths – comme les éléphants – étaient de très bons nageurs.

"Nous avons trouvé ensuite plusieurs armes. Elles sont très rares, mais il y en a malgré tout et c'est important. Pendant une brève période, la version d'une extermination humaine réapparut. Il pense cependant aujourd'hui qu'il y a une autre explication pour le cimetière préhistorique de mammouths de Mamontovoye et ceux d'autres sites sibériens. "La théorie sur laquelle nous travaillons maintenant est que les mammouths sont morts par carence minérale".

Les animaux manquaient du calcium vital et d'autres minéraux peut-être en raison d'un dramatique changement climatique qui a perturbé l'équilibre de leur écosystème. Il pense que ce site leur servait de "pierre à lécher" [en anglais "salt lick"; il est fait mention ici des blocs de minéraux et/ou de sel qu'on donne aux animaux d'élevage ou aux chevaux, note d'Hélios], comme celui de Dubrovsky, à une centaine de kilomètres de là, où il poursuit également des recherches [LIEN, en anglais, avec photos].





Des générations entières de mammouths affluèrent ici pour chercher à corriger un déséquilibre alimentaire qui affaiblissait littéralement l'espèce. Ils se sont peut-être vautrés dans des bains de boue, car une partie de ce site était il y a 10.000 ans un lac peu profond. Ce faisant, ils ont pu devenir des cibles faciles pour des guerriers. Mais les scientifiques ont établi par ailleurs l'existence d'ostéoporose avancée chez de nombreux mammouths sibériens, suggérant qu'ils étaient chroniquement affaiblis par une maladie osseuse.

Le sel est nécessaire au développement et à l'entretien des os, des muscles, du système circulatoire et du système nerveux. Il se compose surtout de chlorure de sodium mais contient des traces de minéraux comme le calcium, le magnésium, le phosphore et le sélénium. De récentes découvertes à Mamontovoye suggèrent que les massives créatures réduisaient littéralement en miettes les os de leurs membres en cherchant leur subsistance.





"Suite aux recherches, je pense qu'on ne doutera plus de la théorie de la "pierre à lécher", conclut le Dr Leshchinski. "Nous souhaitons infirmer ou confirmer la théorie de la carence minérale". Il espère que le résultat de deux étés de fouilles à Mamontovoye lui sera d'une grande aide.

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Un article plus récent du Siberian Times publie des photos d'un squelette entier de mammouth découvert près du fleuve Lena en Yakousie. 

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